le slip du president
Roman historique
30 mars 2080 – Journal de Jean-Marie Antenen, suite
22h – Longue, très longue journée ! Notre défilé prit source devant la Grande Caserne Centrale, située aux abord de la cité de Bellefleurs, à l’ouest de la Capitale. De quelques bataillons au départ, graduellement, comme une rivière devient fleuve, il s’enfla de banlieues en casernes des régiments qui y stationnaient et se joignaient à nous tels des affluents. Jour grandiose de culturisme civique que celui-là, ou la Nation bandait ses muscles puissants sous le regard émerveillé des civils ! Le cortège s’achemina lentement vers le centre de Grandville, évoluant par cercles concentriques afin d’en desservir chaque quartier. Cette progression nous paraissait fidèle à l’esprit de la vie publique qui veut que le chœur des voix parfois dissonantes du peuple remonte vers l’épicentre du pouvoir – nous en l’occurrence – pour y être arrangé harmonieusement, sous forme de lois et décrets, par les virtuoses de cet orchestre complexe qu’est le gouvernement.
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Nous roulions en tête, devancés par les motards de la garde présidentielle en grand uniforme. Afin que chaque corps d’armée fût mis en valeur, nos meilleurs scénographes militaires avaient orchestré un puissant crescendo dramatique. Ainsi, suivant de près notre véhicule, La reine des batailles – l’infanterie – avançait au pas de l’oie, en rangs serrés ordonnés en d’impeccables quadrilatères. Puis, ce fut au tour la marine d’ébaudir le public par l’aisance dont elle fit preuve sur la terre ferme, qui se révéla égale à celle qu’on lui connaissait sur les flots, et tant les uniformes – des officiers aux matelots – évoquaient les horizons merveilleux et lointains aux contribuables sédentaires de la capitale. Entre deux, la Fanfare Militaire Nationale proposait un entraînant pot pourri de ses plus grands succès. Notes majestueuses et martiales, relayées de loin en loin, comme un écho patriote, par les régiments d’accordéonistes disséminés tout au long de la parade. Puis, le génie offrit un intermède ludique avec ses bataillons qui évoluaient en rampant, comme s’ils s’en allaient saper quelque muraille adverse. L’horizontalité de cette progression contrastait de manière saisissante avec la puissante verticalité des blindés qui arrivaient aussitôt après et que, dans un mouvement ascensionnel, suivaient les porte missiles – qui ravissent toujours petits et grands. Fermant le défilé, la cavalerie en constituait l’apothéose, tant par la prestance des hommes que par la puissance racée de leurs montures. Mais nous avions encore réservé une dernière surprise au public, comme un bis à ce triomphe moderne : une horde de soldats de toutes armes, frappés d’opprobre, se traînait dépenaillée à l’arrière du défilé. La foule prenait un grand plaisir à les lapider avec de petits cailloux, teintés aux couleurs du drapeau, qu’un régiment de cadets distribuait gracieusement à la ronde. Par ce présent aux humbles semblants, l’Armée offrait aux civils l’opportunité de participer à une action de justice, élevant ainsi chacun au rang de protecteur de l’Ordre et de la Discipline. De plus, ce final interactif achevait le spectacle d’une touche écarlate dont le naturalisme ferait immanquablement souvenir, à qui l’eût oublié, que la quintessence de l’Armée est de faire couler le sang.